Le Refuge

Fabrice Poiraud-Lambert

Il existe des sujets qui sont finalement assez peu traités en proportion par rapport aux autres, et celui des refuges et de leur rôle semble en faire partie. Je n'en ai pas trouvé trace dans 'The Modern Coral Reef Aquarium' (Vol. 1) de Fossa et Nilsen, et 'The Reef Aquarium' (Vol.1) parcours le sujet en une page (157). D'autres auteurs apportent quelques informations complémentaires que j'essaye de compiler ici.

 
De nombreuses voix s'élèvent depuis un certain temps pour mettre en relief le fait qu'un refuge puisse apporter des bénéfices important à l'aquarium récifal. Cependant, les refuges ne sont qu'assez peu utilisés en raison de la place supplémentaire que cela nécessite, du manque d'information complète que l'on trouve à ce sujet (je n'ose même pas parler de ce que l'on trouve en français, cela frôle le néant...).
 
 
A quoi sert un Refuge ?
 
Un refuge est un petit bac annexe à l'aquarium, par lequel transite une partie de l'eau de l'aquarium (25% de l'eau descendant de l'aquarium vers la décantation peut ainsi y transiter, A. THIEL, Comm. Pers.). Dans ce bac, peu brassé, les sédiments et autres matières en suspension (nourritures, détritus,...) vont se déposer et permettre la vie d'un microcosme complet, tout en servant à la fois de filtre et dans une certaine mesure de dénitrateur si l'épaisseur de sable est suffisante, et, c'est le principal, de réservoir à plancton.
 
En effet, équipé d'une couche de sable, voire de quelques pierres vivantes ou non, cet univers perpétuellement alimenté en nutriments divers va offrir une hospitalité sécurisée à une population des petits animaux qui vont s'y reproduire sans aucune prédation, les larves étant au fur et à mesure emportées par le léger courant vers le bac principal ou elles serviront de casse-croûte aux coraux et autres prédateurs.
 
The Reef Aquarium apporte une suggestion intéressante en photographiant le Refuge du Smithsonian Institute, qui possède un fond conique équipé d'une vanne permettant d'en siphonner le fond, afin de le nettoyer.
 
 
Que mettre dedans ?
 
Si le thème des refuges est peu abordé, les exemples de populations sont par contre rares, même si tout le monde cite diverses crevettes. Aquatic Wildlife Company, qui utilise les refuges, propose un 'package' complet pour 90 USD (je n'ai pas d'action !!), et en donne la composition, qui nous éclaire sur la population possible. En voici le détail, trouvé sur le WEB d'Albert THIEL (www.thiel.com) :
 
Ce package est donné pour un refuge de 40 litres connecté à un bac entre 200 et 400 litres :
- 1 kg de sable vivant
- 25 crevettes Gammarus
- 2 pierres couvertes de moules
- un sac de plantes assorties (algues diverses, type Caulerpes)
- 10 escargots Stomatella
- 5 Bernards l'ermite à pattes bleues
- 4 escargots du type Turbo
- 1 petite Ophiure
- 1 petite Holothurie.
 
Les crevettes peuvent être aussi des Lysmata type californica.
 
 
Comment le raccorder à l'aquarium ?
 
Voilà une autre bonne question à propos de laquelle les informations sont particulièrement rares et/ou peu détaillées. Cela donnera probablement lieu à une mise à jour de la description de l'aquarium récifal idéal...
 
Nous avons vu plus haut qu'il fallait raccorder le refuge à l'aquarium, et y faire passer un petit courant d'eau. En fait, des tests réalisés par des Américains montrent semble t-il que le débit d'eau à faire passer dans le refuge est équivalent à son volume par heure. Si vous utilisez un refuge de 40 litres, il vous faudra donc injecter 40 l/h dedans.
 
Etant donné le but du Refuge, il semble aussi raisonnable de considérer qu'aucune pompe de brassage ne viendra réduire notre élevage de plancton en bouillie...
 
De même, il serait aberrant de connecter la sortie du refuge à la décantation, ou l'écumeur se ferait un devoir de transformer nos précieuses larves fraîchement écloses en écume...
 
Donc, il semble qu'une bonne méthode serait de prélever de l'eau chargée en nutriments issue de l'aquarium principal, de l'envoyer dans le refuge, puis de faire en sorte que cette eau reparte vers le bac principal. De nombreuses méthodes peuvent alors être imaginées, toutes tenant compte des contraintes propres à chaque installation.
 
Pour éviter la destruction du plancton, l'idéal serait que l'eau entrante pousse l'eau sortante, la meilleure solution étant probablement ici de faire en sorte que la surface de l'eau du refuge et du bac principal soient au même niveau. L'immersion du refuge dans le bac principal est donc une possibilité si vous manquez d'espace, la fabrication du refuge à la surface de l'aquarium principal pouvant être une option des fabricants.
 
Si vous manquez d'espace, votre décantation peut aussi être dessinée afin de détourner une partie de l'eau arrivant vers une zone refuge, dont la sortie donnerait directement sur la pompe de relevée, et supposant que la pompe ne détruira pas tout le plancton.
 
Carlos Borges, aquariophile américain ayant 20 ans d'expérience, a récemment publié la description de son bac sur www.aquariumfrontiers.com. Il utilise un refuge et voici en synthèse comment il décrit la meilleure configuration qu'il ait trouvée : une pompe (cela peut aussi être une dérivation du flux de retour de la pompe de circulation principale) envoit de l'eau puisée dans la décantation dans une cuve de décantation située plus haut que le bac principal. L'eau qui sort du refuge redescend dans le bac principal par simple gravitation. Carlos n'apprécie pas les caulerpes dans son refuge (trop de toxines sont relachées), mais leur préfère les algues calcaires telles les Halimeda. Il éclaire son refuge avec un HQI de 175 W 5500K. Selon son témoignage, l'ajout de plancton dans son bac principal est incroyable.
 
Si certains d'entre vous ont mis en place de tels systèmes, les explications et conseils sont les bienvenus !
 
 
A quoi sert le plancton ?
 
En dehors de nourrir les poissons, le plancton semble être un apport nutritif de choix pour les coraux, même lorsqu'ils sont hermatypiques. De nombreux débats ont lieu sur ce sujet depuis que les coraux sont hébergés en aquarium ou qu'ils sont étudiés dans la nature, et face à ceux qui suggèrent que les Zooxanthelles suffisent à nourrir les coraux hermatypiques, ceux qui prônent le nourrissage avancent les arguments suivants. Il est intéressant de noter que ce sujet rejoint quelque part celui de mon autre article sur l'écumage.
 
Selon Delbeek et Sprung, les coraux hermatypiques se nourrissent de tout ce qu'ils trouvent (plancton, bactéries, détritus et matières fécales de poissons (Sorokin, 1973; Schiller and Herndl, 1989)). D'autres encore peuvent directement absorber les hydrates de carbones qu'ils trouvent dans l'eau (Stephens, 1962). Chaque corail peut adopter un type particulier de nourrissage. Même si les coraux peuvent se nourrir, les auteurs soulignent le danger de nourrir trop, les bacs récifaux permettant normalement de fournir une partie de cette alimentation supplémentaire.
 
Un autre auteur, Ronald L. Shimek, décrit la morphologie des coraux et insiste sur le fait que si les coraux hermatypiques possèdent des nématocystes en grand nombre (sorte de micro-harpons empoisonnés, qui jaillissent des coraux sous des pressions allant jusqu'à 155 Kg/cm2, et qui sont déclenchés soit par la proximité d'une proie, soit par les effluves chimiques, des stimuli nerveux, etc...), c'est bien pour pouvoir chasser, car sinon l'énergie dépensée à les fabriquer et à les utiliser serait inutile. D'aucuns pourraient argumenter que les nématocystes servent à la défense, mais R. Shimek cite une méduse marine vivant dans un lac d'eau filtrée par les porosités des récifs environnants, qui ne n'en possède aucun, la méduse ayant muté afin d'offrir plus de place aux Zooxanthelles. Comme les Coraux durs ne montrent pas de telles mutations, il en déduit qu'ils utilisent les nématocystes comme des armes de chasse. Il cite même un corail dur hermatypique (Leptoseris fragilis) qui à muté afin de pouvoir manger en continu, ce que les autres cnidaires ne peuvent faire puisque leur bouche leur sert aussi d'anus. Il semblerait même que des espèces comme celle des Goniopora se nourriraient moins via la photosynthèse que via d'autres méthodes. Ceci explique peut-être pourquoi les Goniopora se trouve souvent en Mer Rouge par exemple en dessous de 10 mètres et jusqu'à 25/30 mètres. Il conclut en disant que les Zooxanthelles peuvent fournir 100% de l'énergie nécessaire à la survie des coraux, mais que les nutriments additionnels peuvent aussi apporter 100% de ces besoins et que pour grandir et réparer ses blessures, les coraux ont besoin de plus de 100% de leurs besoin vitaux.
 
Dans un autre article, Ronald L. Shimek démontre que l'on trouve entre 30 et 40 acides aminés différents dans les coraux, et que combinés entre eux, ils forment des protéines. Or, les acides aminés sont des acides organiques associés à de l'azote, et la photosynthèse ne produit strictement aucune source d'azote aux coraux... Donc, il existe d'autres moyens :
- des produits azotés traversent les Zooxanthelles et pénètrent à travers les tissus des coraux, mais cet apport ne peut être que faible,
- la consommation de proies vivantes leur apporte à la fois des produits azotés et des matériaux de construction (calcium, minéraux) en grandes quantités, via leurs carapaces et arêtes. Selon Shimek, les produits de la chasse apporteraient une part non négligeable du carbonate de calcium nécessaire à la croissance des coraux...
 
Parmi les auteurs qui publient volontier sur Internet, Eric BORNEMAN décrit dans une série d'articles sur Aquarium.net, une théorie fort intéressante sur la coloration des coraux, qui rejoint les théories ci-dessus. Il confirme ainsi que les pigments qui aboutissent à la coloration des coraux ne peuvent être obtenus que par une alimentation autre que la photosynthèse. Il avance entre autres que 150% des besoins alimentaires sont fournis dans la nature par la photosynthèse, et que 70% suplémentaires sont fournit chaque jour par la consommation d'organismes vivants. Il avance alors l'hypothèse que lorsque l'on met un SPS très coloré dans un bac très écumé, si le corail tourne rapidement au marron, c'est essentiellement parce que la seule source d'alimentation est alors la photosynthèse, et qu'il n'obtient pas là aucun pigment.S'il n'écarte pas le fait que la lumière semble avoir une incidence non négligeable sur ce point, il insiste sur le rôle important des compléments nutritifs.
 
Dans le Volume 2 de The Reef Aquarium (p. 52 et suiv.), Delbeek et Sprung apportent d'autres informations cette fois-ci relatives aux coraux mous (octocoralliaires), en citant des études qui démontreraient que beaucoup de coraux mous (il existe cependant des exceptions à l'inverse) ne peuvent pas survivre à l'aide de leurs seules zooxanthelles et qu'ils ont besoin soit de prélever des nutriments dans l'eau, soit de chasser, soit les deux. Ils citent aussi les travaux de Best, (1988) qui démontrent que l'Alcyonium digitatum ne devrait sa belle couleur orange qu'aux caroténoïdes contenus dans leur nourriture à base de Dinoflagellées. Toujours selon eux, la quantité de Phytoplancton serait supérieure sur le récif à celle du zooplancton.
 
J.E.N. Veron ne se pose quant à lui pas la question de savoir si les coraux chassent ou pas : c'est une simple évidence dont il décrit le mécanisme, sans faire d'hypothèse concernant la coloration. Si tout le monde semble d'accord pour dire que les coraux, durs ou mous, ont besoin de compléments nutritifs à la photosynthèse, l'aquariophile récifal, dans sa volonté d'approcher le plus possible les conditions naturelles optimales, ne pourra que s'interroger sur la méthode à utiliser.
 
On le voit, l'apport nutritif fournit par un refuge peut être bénéfique, et ce d'autant plus qu'il reste naturel et ne risque pas de polluer inconsidérément l'aquarium. Un corail bien nourrit est un corail fort, qui ne risque pas de succomber au premier stress.
 
Il y a beaucoup à dire sur ce sujet, mais le mieux est de vous reporter aux articles et livres cités ou existants.
 
 
Bibliographie
 
* Delbeek et Sprung, 'The Reef Aquarium' Vol. 1, 1994
* Ronald L. Shimek,'Feed your Corals' (Aquarium.net)
* Ronald L. Shimek , 'Why and What : Foods, and feeding in Aquarium Coral Husbandry' (Aquarium.net)
* Eric Borneman, 'Pocillopora - the Cauliflower Coral - Coloration pt. 1' (Aquarium.net)
* Eric Borneman, 'Bird's Nest Coral... Feathers Not Includes - Coloration pt. 2 ' (Aquarium.net)
* Eric Borneman, 'The Elusive Bleu Tipped Acropora - Coloration pt. 3 ' (Aquarium.net)
* J.E.N. Veron, 'Corals of Australia and the Indo-Pacific'
* Tank Setup of Carlos Borges, www.aquariumfrontiers.com

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