Brachionus plicatilis

Depuis quelques années, une amélioration constante dans la qualité des produits proposés aux aquariophiles a permis a bon nombre d'entre-nous d'obtenir des pontes de poissons marins. Aujourd'hui, se pose la question essentielle de l'alimentation des larves durant les premiers jours de leur vie.

Notre expérience personnelle révele que si l'élevage de jeunes Amphiprions est possible a partir de nourritures inertes elle ne peut se faire qu'a toute petite échelle, aux prix d'une extreme rigueur et donne des résultats tres limités. Les tentatives effectuées avec d'autres genres de poissons (Ecsenius bicolor et Gramma loreto) ainsi qu'avec les crevettes Lysmata grabahmi se sont soldées par des échecs. On peut penser que la cause majeure de ces échecs est le manque d'attrait des nourritures seches, du essentiellement a leur tres faible mobilité. Ceci est confirmé par le fait que dans tous les cas, les alevins étaient attirés par des nauplies d'anémias fraîchement écloses, mais de trop grande taille pour eux. Les succes enregistrés dans l'élevage de poissons marins sont dans l'ensemble l'oeuvre de professionnels. L'atout majeur s'est révélé etre le démarrage des larves a l'aide de nourritures vivantes de taille adaptée et de tres bonne valeur nutritive, zoo plancton et a un moindre degré phytoplancton.

La plupart des expériences ont été menées avec un rotifere : Brachionus plicatilis.

Généralités

Brachionus plicatilis est a l'origine une espèce vivant en eau saumâtre qui, par le biais d'expériences scientifiques, a pu etre acclimatée a l'eau de mer.

Il s'agit d'un rotifere. Les rotiferes font partie des vers. Ils se déplacent grâce a des cils et peuvent se fixer par l'intermédiaire d'un pied. On trouve des Brachionus de deux tailles différentes, en moyenne 140 micro metre et 280 micro mètre. A la naissance la taille est de 80 micro metre.

Le mode de multiplication de ces petits invertébrés est tout a fait original. Lorsque les conditions de vie sont optimales, des femelles parthénogénétiques (amictiques) produisent des oeufs donnant naissance à d'autres femelles parthénogénétiques. Chaque femelle pond un à quatre oeufs tous les deux jours environ.

La maturité sexuelle est atteinte en une journée a 20 °C.

Lorsque les conditions de vie sont moins bonnes, ces animaux font appel a un autre type de reproduction. Cette fois-ci, il s'agit d'une reproduction sexuée. Sous l'action d'un stimulus (condition défavorable), les femelles amictiques pondent des oeufs donnant naissance à des femelles mictiques. Les oeufs de ces femelles engendrent des mâles. Les mâles fécondent alors des femelles mictiques et le processus de reproduction sexuée est entamé. Les oeufs produits sont capables de résister à des conditions très défavorables notamment à la dessiccation et aux fortes variations de température. Ce sont ces oeufs dit en diapause qui sont généralement diffusés dans le milieu aquariophile. Lorsque les conditions vont s'améliorer le cycle parthénogénétique reprendra.

La nourriture naturelle de Brachionus plicatilis est essentiellement composée de micro algues et protozoaires. Il se nourrit par filtration du milieu. Les principales especes utilisées pour son élevage sont : Chlorella, Dunaliella et Isochrysis. Ces algues unicellulaires ont une taille inférieure a 20 micro metre . Chaque Brachionus consomme environ 5 a 10 fois son volume par jour.

L'intéret majeur de l'utilisation de B. plicatilis pour l'aquariophile amateur est sa grande résistance aux variations des caractéristiques physico-chimiques de l'eau :
- il peut se reproduire a des températures allant de 20 a 30 oC. Mais le métabolisme étant plus élevé a fortes températures, il est conseillé de pratiquer l'élevage autour de 20 °C ;
- le pH peut varier entre 5 et 10 ;
- des modifications sensibles et progressives de la salinité et du taux de nitrates peuvent avoir lieu sans entraÓner de dommages majeurs aux cultures. Le taux de salinité optimal pour les cultures est de 12 a 19 g/l, mais le risque de choc osmotique lors de la distribution aux alevins est alors important. Cela nécessite une phase d'adaptation progressive a des densités plus forte avant distribution ;
- le taux d'oxygène dissout peut également subir des variations ;
- le point critique concerne le taux d'ammoniac : il faut éviter de dépasser le seuil de 1 mg/l.

Méthodes de culture

Les descriptions font généralement référence a l'élevage intensif en aquaculture. Il est donc nécessaire d'adapter ces méthodes a l'usage aquariophile en fonction des besoins et des moyens de chacun.

A titre indicatif, la numération des individus nécessite un minimum de matériel (microscope, cellule de comptage) qui n'est pas a la portée de tout le monde. Une certaine dose d'empirisme sera donc de mise pour l'amateur.

Quelques criteres doivent cependant etre retenus en vue de l'élaboration d'un systeme d'élevage a petite échelle :
- la densité des cultures : on doit respecter un bon rapport entre le nombre d'individus et le volume si on veut pouvoir faire des récoltes a intervalles réguliers. On filtre généralement les Brachions lorsque la culture est au maximum soit environ 100 a 1000 individus/ml. Au dela d'une certaine densité de peuplement de fortes pertes sont enregistrées. D'ou la nécessité d'effectuer des repiquages fréquents ;
- l'intensité de l'éclairage (valeur optimale = 2000 lux) et sa durée (16 a 18 heures par jour) ;
- la création de courants dans l'eau pour éviter le dépôt des Brachions sur le fond, sans pour autant entraÓner la production d'écume néfaste a l'élevage. Les techniques traditionnelles sont basées sur des cultures paralleles de Brachionus et de micro algues. La micro algue Chlorella est couramment utilisée. Elle est cultivée dans des bacs ou l'eau de mer est préalablement stérilisée afin de limiter les risques de contamination. Un apport d'éléments nutritifs est régulierement fait. Lorsque la culture d'algues arrive a la densité maximum, des rotiferes y sont introduits. Ils se développent alors rapidement aux dépends des algues. Lorsque la densité souhaitée est atteinte les rotiferes sont filtrés, rincés, et utilisés. Les nombreuses contraintes qu'engendrent les cultures paralleles de micro algues et de Brachionus ont poussé les professionnels a nourrir les rotiferes avec de la levure de boulanger. Cette technique beaucoup plus simple a toutefois le défaut d'etre polluante, moins efficace et nécessite un contrôle et un nettoyage fréquent des bacs d'élevage. C'est pourtant le moyen le plus facile pour l'aquariophile amateur qui veut maintenir une souche de Brachionus plicatilis. Des essais en bac de petits volumes (une vingtaine de litres) éclairés par un tube fluo (Sylvania Gro- lux) ont donné des résultats encourageants mais ne permettent pas de garantir une production fiable et permanente (probleme de contamination). En réalité, ce type de technique nécessite de faire un roulement avec au moins cinq bacs.

L'utilisation d'un systeme composé de bouteilles d'eau minérale en plastique renversées, comme ceux décrits pour l'élevage des artémias, devrait donner de bons résultats. Des que les rotiferes d'une bouteille sont prélevés, un nettoyage minutieux a l'eau de Javel doit etre effectué avant l'introduction d'une nouvelle culture. Un repiquage fréquent de la souche est obligatoire pour limiter les risques de contamination. L'eau doit etre légerement brassée a l'aide d'un diffuseur. Les Brachionus sont nourris avec de la levure de boulanger deux fois par jour et l'eau est renouvelée de moitié au moins deux fois par semaine en filtrant les rotiferes a l'aide d'un tamis de 75 micrometre. L'utilisation exclusive de levure de boulanger ne semble pas adéquate pour le maintien durable de la souche de Brachionus. Un apport d'au moins 10% d'algues unicellulaires vivantes est donc conseillé, car la qualité de la nourriture administrée détermine le taux d'accroissement. Afin de simplifier au maximum les techniques de culture, des essais sont actuellement faits a grande échelle avec des nourritures seches aux qualités nutritives supérieures a la levure de boulanger. Les vitamines B 12 et A sont nécessaires au développement des rotiferes et doivent etre rajoutées aux aliments secs. La spiruline lyophilisée est utilisable si elle est complétée par d'autres types d'aliments. Le plus difficile est d'obtenir un juste équilibre entre distribution de nourriture et quantité ingérée et digérée par les Brachionus. Tout surplus important de nourriture est synonyme de pollution donc de perte de la souche.

Un facteur essentiel : la valeur nutritive des Brachionus...

Qu'est-ce qu'un rotifere enrichi ?

Il est primordial de fournir aux alevins de poissons marins du zoo plancton d'excellente valeur nutritive. A l'échelon commercial le prix des aliments est un facteur prépondérant. Il est pour l'instant plus économique de nourrir les Brachions avec des levures et de les faire passer par une phase dite d'enrichissement avant leur distribution aux alevins. La phase d'enrichissement consiste généralement a placer les Brachionus quelques heures dans un milieu contenant les éléments essentiels au bon démarrage des larves. Cette étape donne encore lieu aux expériences les plus variées utilisant par exemple l'huile de foie de morue. Les acides gras insaturés (Acide gras polyinsaturé à longue chaîne > 19 carbones) sont essentiels dans le processus de digestion des alevins de poissons marins. Il a été montré que l'algue Nannochloris sp. présente les qualités requises. Elle est riche en acides gras polyinsaturés, et de surcroÓt a une grande capacité d'épuration du milieu. A notre niveau, et dans l'état actuel des connaissances, on peut penser que le microplan de Preis peut représenter une bonne alternative. Des nourritures spéciales pour rotiferes sont désormais commercialisées (Ex. : ROTI-RICH de Florida Aqua Farms). Bien que ces nourritures soient sans doute moins performantes que les micro algues vivantes, elles sont d'une utilisation plus simple pour l'aquariophile amateur. Cette phase cruciale d'enrichissement est favorisée par le fait qu'il est tres facile de faire absorber quantité d'aliments a ce rotifere. Les professionnels assimilent d'ailleurs cet invertébré a une microcapsule qui pourrait contenir tous les éléments nécessaires au bon développement des larves a qui elle est distribuée. Pour cela il suffit que ces éléments soient présents dans la nourriture des Brachionus. Le gros avantage de la phase d'enrichissement est la possibilité de faire absorber aux alevins des aliments ciblés, par l'intermédiaire des rotiferes. A titre d'exemple, des antibiotiques peuvent être ainsi administrés aux larves de poisson. Cette phase d'enrichissement peut etre de 30 mn avec des aliments composés tres riches ou de 24 heures avec des algues de type chlorelles. Plus ce temps est long plus le risque de contamination bactérienne est grand. Des expériences scientifiques ont montré qu'une fois en eau claire, les Brachionus ne perdent leur valeur nutritive que tres progressivement (entre 6 et 24 heures suivant les constituants étudiés).

Conclusion

Si l'élevage des larves de poissons marins passe obligatoirement par le démarrage a l'aide de rotiferes enrichis, tout un chacun n'a pas la possibilité de construire une station d'aquaculture à domicile. Ces données ont pour but d'aider les aquariophiles amateurs a maintenir une souche de Brachionus en fonction des moyens et du matériel dont ils disposent. Chacun pourra ''bricoler'' son propre systeme en tenant compte des caractéristiques de ce mini-invertébré. En cas d'arret momentané des cultures, la souche pourra etre conservée au froid plusieurs semaines en la nourrissant seulement tous les deux ou trois jours. Un certain nombre de points restent encore a préciser, notamment pour ce qui concerne les besoins lipidiques et protéiques des poissons marins exotiques au stade larvaire. Une avancée notable dans ce domaine devrait permettre la mise au point d'une nourriture d'enrichissement des rotiferes adaptée aux différentes especes marines.

Patrick Nusbaum

Bibliographie :

[1] Elevage et utilisation des rotiferes, application à l'alimentation des larves de poissons marins. Alain Grioche. Mémoire de maîtrise - Université Paris VI.
[2] Plankton culture manual F.H.Hoff and T.W. Snell - Florida Aqua Farms.