Quelques notions essentielles sur les biotopes

Jean-Claude Ringwald

Chaque animal, voire communaut? animale vit dans un contexte bien pr?cis. La fable de La Fontaine "Le rat des villes et le rat des champs" illustre fort bien cette r?alit?. H?las pour compliquer les choses, dans le domaine de l'aquarium o? nous voulons tenir le plus grand nombre d'animaux possible, et cela dans un minimum d'espace disponible, les probl?mes ne sont pas toujours faciles ? r?soudre. Le monde des invert?br?s est compos? de vari?t?s tellement diverses qui vivent dans des lieux souvent totalement diff?rents. Nous voulons donc faire cohabiter dans un m?me aquarium des animaux qui sont, dans la nature, soumis ? des influences diverses, parfois oppos?es les unes aux autres et cela pourtant dans un m?me lieu. C'est dans ce contexte qu'il faut rechercher l'origine de nos ?checs. En effet, la plupart de ces animaux se sont depuis des mill?naires habitu?s ? des conditions de vie bien pr?cises et meurent si ces conditions ne leur sont pas (ou plus) offertes.
Pour vous aider ? offrir des milieux similaires ? vos pensionnaires nous allons faire le tour des principaux biotopes et des animaux qui s'y trouvent. Je ne retiendrai cependant que les lieux qui peuvent trouver une application bien pr?cise en aquariophilie. Dans cette notion de biotope seront compris les facteurs suivants: la nature du substrat, l'intensit? lumineuse, le mouvement de l'eau et la temp?rature.
Ces biotopes se divisent en quatre zones, elles-m?mes subdivis?es en fonction de la nature du substrat. Les r?cifs coralliens, qui incluent ces divers biotopes seront trait?s dans leur ensemble, car ils constituent une niche ?cologique ? part, qui b?n?ficie de circonstances particuli?rement favorables ? leur ?dification.

1. LES DIFFERENTS FACTEURS INFLUANT SUR LES BIOTOPES

D?finition des zones en fonction de la luminosit?.

La lumi?re solaire est form?e d'un grand nombre de radiations de diverses couleurs et dont la longueur d'onde est variable en fonction de la dite couleur. Les longueurs d'ondes sont mesur?es en Angstroem (?). On peut isoler ces diverses radiations en faisant passer la lumi?re blanche au travers d'un prisme. Nous obtiendrons alors la gamme compl?te des rayons visibles par l'oeil. Cette gamme est compos?e de rayons rouges, oranges, jaunes, verts, bleus, indigos, violets (couleurs de l'arc-en-ciel).
Suivant la composition des corps qu'ils traversent, ces radiations sont diversement absorb?es. Selon cette absorption, la lumi?re restante nous para?tra rouge, bleu ou verte. Si tous les rayons sont absorb?s, les corps p?n?tr?s para?tront noirs. Dans l'eau une partie des rayons sera donc plus ou moins absorb?e selon qu'elle contient peu ou beaucoup de particules en suspension. N'oublions pas non plus que la lumi?re est constitu?e par des ondes ?lectromagn?tiques dont la vitesse de propagation est de l'ordre de 300.000 km par seconde. D?s son contact avec l'eau, une partie de la lumi?re se trouve r?fl?chie et par cons?quent d?j? au d?part de sa p?n?tration elle perd une partie de son intensit?. Enfin dans l'eau la vitesse de la lumi?re diminue de presque 1/4 par rapport ? sa vitesse dans le vide. Ce ph?nom?ne entra?ne donc ?galement une modification du rayonnement qui se r?percutera naturellement par un changement de couleur. En cons?quence, plus la masse d'eau p?n?tr?e par les rayons sera grande, plus la modification des couleurs sera importante. Le tableau ci-dessous r?sume en donn?es approximatives ces divers ph?nom?nes:

Profondeur
en mètres
Proportion de la
lumière restante
en fonction de
la profondeur
Proportions des rayons en fonction de la profondeur
rouge
jaune
bleu
0


5

10

20

30

40
100 %
(2% réfraction à la surface)
25 %

15 %

5 %

3 %

2,5 %



5 %

0 %



˜ 0 %



0 %



˜ 25 %







5 %

Ces donn?es ne tiennent pas compte de la turpidit? de l'eau ni de sa temp?rature (qui peut ?tre variable, surtout dans les 10 premiers m?tres de profondeur). Dans la pratique je vous citerai l'exemple du plongeur photographe. A deux m?tres de profondeur avec des prises de vue sans flash et un film de haute sensibilit? (400 ASA/27° DIN) on note sur les photos une dominante bleu?tre. A partir de 10 m, les photographies ne peuvent pratiquement plus se faire sans l'aide d'un flash. A 35 m?tres la gorgone Paramuricea clavata appara?t au plongeur comme ?tant violet fonc?, presque noire, alors que fortement ?clair?e par une torche ou photographi?e au flash elle est rouge violet.

La plupart des aquariophiles connaissent la n?cessit? d'un puissant apport lumineux pour des animaux tels que les anthozoaires poss?dant des zooxanth?les ainsi que pour les v?g?taux. Mais l'inverse est ?galement vrai. Un certain nombre d'animaux et v?g?taux depuis des mill?naires se sont habitu?s ? une faible intensit? lumineuse et une gamme ?troite de radiations. S'ils sont plac?s sous une forte luminosit?, ils sont souvent perturb?s et finissent par d?p?rir. Nous verrons dans la partie r?serv?e aux applications pratiques des pr?c?dentes donn?es les divers facteurs qui peuvent ?tre mis en cause.
Si l'on d?finit les zones en fonction de la p?n?tration de la lumi?re, mais ?galement en fonction de la dur?e d'exposition au soleil nous obtiendrons 3 zones principales.

A) Les zones de faible profondeur 0 - 10 m et dont les eaux contiennent une teneur variable de particules en suspension. La plupart des invert?br?s r?colt?s pour les aquariophiles proviennent de cet ?tage.

B) Les zones plus profondes 10 - 40 m o? les couleurs chaudes (rouge, orange et jaune) finissent par dispara?tre.

C) Les grottes et les milieux qui ne sont pas directement expos?s ? la lumi?re solaire. Une faible diversit? d'invert?br?s sont r?colt?s dans ces deux derni?res zones.

D?finition des zones en fonction de la temp?rature.
Logiquement il s'?tablit une sorte de parall?le entre les zones faites en fonction de la temp?rature et celles r?sulant de la luminosit?. Les couches sup?rieures de l'eau sont directement expos?es au rayonnement solaire. Les rayons infrarouges ?tant les premiers absorb?s il s'en suit un surchauffement des eaux en surface jusqu'? cinquante centim?tres de profondeur. Ensuite par suite des mouvements de l'eau (houle, courants, etc.), cette chaleur se propage aux couches inf?rieures. Bien entendu dans des zones abrit?es, criques, lagons, la couche superficielle peut ?tre plus importante. A partir d'une certaine profondeur, variable selon la situation g?ographique, la temp?rature reste stable.
Ainsi en M?diterran?e par 40 m?tres de fond, quel que soit le lieu (C?tes Europ?ennes, Afrique ) et la p?riode de l'ann?e, la temp?rature reste constante ? 12 °C. En Atlantique, la temp?rature est de 4 °C. En ce qui concerne les zones ? r?cifs coralliens, la temp?rature n'est jamais inf?rieure ? 20 ?C. Des temp?ratures plus basses sont d?favorables aux conditions de survie des coraux hermatypiques. Une exception cependant: en Norv?ge ont ?t? d?couverts des madr?pores (Lophelia pertusa) formant des r?cifs. Ces madr?pores prosp?rent dans des zones tr?s profondes allant en-de?? de 100 m. On ne peut donc en aucun cas les comparer aux coraux ?difiant des r?cifs dans les eaux tropicales. En fait leur prosp?rit? n'est due qu'? une forte abondance de plancton. Les conditions de leur ?dification sont donc diff?rentes des coraux tropicaux qui sont essentiellement li?s ? l'action photosynth?tique des zooxanthelles comme nous le verrons par la suite.

D?finition des zones en fonction du substrat et du mouvement de l'eau.
Le substrat, quel qu'il soit, est colonis? par des animaux et des v?g?taux. Il peut ?tre soit instable (sable, vase, gravillons), soit solide (galets, roches, etc.). Si le substrat est de nature instable et de surcro?t agit? par un fort mouvement d'eau, la faune et la flore seront relativement rares puisqu'ils manquent de points d'ancrage. Certaines esp?ces ont cependant r?ussi ? s'adapter ? ces conditions de vie, en se sp?cialisant. Les zones ? substrats solides offrent bien s?r des possibilit?s plus vari?es de survie (crevasses dans les roches, dessous de galets) offrant des abris ? la faune. De plus, leur nature solide permet ? un grand nombre d'animaux et de v?g?taux de s'y fixer, ce qui ?vite le risque souvent fatal d'?tre emport? par le mouvement des eaux (houle, courants, etc.). Les animaux qui se fixent sur un substrat solide (ces animaux sont dits ? cessiles ?) ne pouvant se d?placer, attendent g?n?ralement que la nourriture leur soit apport?e par le mouvement des flots. La morphologie des animaux varie en fonction de la puissance du mouvement d'eau. Plus le milieu sera agit? et plus leur taille sera petite et ramass?e, offrant ainsi moins de r?sistance aux vagues. En profondeur o? la houle ? une action moins puissante, un m?me animal atteindra souvent des tailles nettement sup?rieures qu'en surface. Si les mouvements d'eau sont trop puissants, la faune c?de g?n?ralement la place ? la v?g?tation (en l'occurrence, les algues) qui s'adaptent plus facilement ? ces difficiles conditions de vie. La cr?te alguale des r?cifs en est un exemple frappant.

Afin de faire une synth?se de ces divers facteurs nous diviserons donc ces diverses zones en 3 biotopes principaux:

1. Plages de sable (entre 0 et 10 m)

2. Plages rocailleuses (entre 0 et 10 m)

3. Les pentes rocheuses sous-marines et les secs (10 - 40 m) ainsi que les zones faiblement ?clair?es - zones faiblement ?clair?es :
• grottes et dessous d'avanc?es rocheuses
• fonds corallig?nes (entre 20 - 40 m)
- zones fortement ?clair?es.

Cons?quences de ces divers facteurs sur la faune et la flore.
En fait il convient de poser le probl?me ? l'envers. La lutte pour la vie, qu'elle soit animale ou v?g?tale se r?sume par un ph?nom?ne qui r?git toute notre plan?te: la conqu?te de l'espace vital et le combat pour la survie.
Cette conqu?te ne s'est pas faite du jour au lendemain. Au fur et ? mesure que la faune s'est mise ? coloniser un milieu donn? elle a acquis un certain mode de vie lui-m?me li? ? l'?volution des esp?ces (doctrines de Spencer, Lainarck et Darwin). Cette ?volution s'est bien s?r transmise au cours de mill?naires selon les acquis g?n?tiques de chaque esp?ce. Il est donc vain de vouloir acclimater en aquarium des animaux ou v?g?taux dans des conditions diam?tralement oppos?es ? celles qu'ils rencontrent dans la nature. Agir ? l'encontre de cette r?gle serait une pure aberration. On arrive bien s?r ? maintenir quelque temps des animaux ou des v?g?taux dans de mauvaises conditions (avec des marges de tol?rance plus ou moins grandes selon les esp?ces), mais il ne faut pas se leurrer: plus les conditions de maintien s'?loigneront des conditions de vie naturelles et plus l'esp?rance de vie de l'animal ou du v?g?tal sera courte. Cette loi est par cons?quent encore plus stricte pour les invert?br?s sessiles et les v?g?taux car ceux-ci n'ont pas la possibilit? de se chercher des conditions de vie plus favorables ailleurs.
Le probl?me se r?sume ? cette question: vous viendrait-il ? l'id?e de planter un arbuste dans un pot rempli de galets et de le placer dans une cave sombre? Non!
Vous tiendrez compte de ses besoins en lumi?re, du type de substrat et des min?raux qui sont n?cessaires ? sa croissance, etc. Le probl?me est le m?me pour les animaux et v?g?taux de votre aquarium.
Du non-respect de certaines r?gles ?cologiques r?sultent les ?checs cuisants en aquariophilie.

Extrait des "Lettres récifales" nr 11 - décembre 1998