Dans les lignes qui suivent, je vais vous présenter mon jeune bac de coraux durs qui a été mis en eau en août 1996. Je vais essayer de vous retracer son histoire, sonévolution, en vous faisant part de ma modeste expérience et en vous donnant l'état de mes réflexions actuelles. Il va sans dire que certaines des idées que je vais émettre ne sont que des idées personnelles qui n'ont aucun caractère de vérité absolue, comme d'ailleurs la quasi-totalité des écrits que l'on peut lire sur le sujet récifal. Mais bien trop souvent confusion est faite entre hypothèses et certitudes, entre faits bien établis et enthousiasme prématuré face aux résultats du hasard...

Les débuts

Je me suis lancé dans l'aquariophilie marine en 1991, après plusieurs années de pratique en eau douce et d'observations des évolutions qui se faisaient en eau de mer. De 1991 à 1996, je me suis contenté d'un aquarium de 160 litres, avec 4 poissons et uniquement quelques invertébrés mous faciles: discosomas, clavularias et zoanthus, plus une anémone pour mes deux clowns. A l'époque la méthode du filtre à ruissellement était répandue, et je n'y ai pas échappé. Je dois lui reconnaître tout de même une qualité: je n'ai jamais eu le moindre problème d'ammoniaque ou de nitrites, et mon eau restait claire et bien oxygénée. Mais en revanche que de nitrates, que d'algues !
C'est avec un an de retard que j'ai découvert l'article auquel je dois mon bac actuel, ce fameux article de Dietrich Stueber paru dans Aquarama de mars 1991. Il est évident que sans cet article, l'aquariophilie récifale n'aurait jamais connu dans notre pays l'essor qu'elle connaît actuellement. Selon moi, cet article, ainsi que celui qui lui a fait suite dans la même revue en août 1997, constituent les références incontournables. Les bases d'une méthode simple et séduisante (la méthode berlinoise) y sont énoncées avec force et conviction, cette méthode étant validée par de nombreux exemples de bacs agés et sains (d'autres techniques et variantes ont vu le jour depuis cette date et semblent donner chez certains des résultats corrects: à suivre... seul les résultats obtenus sur le long terme peuvent valider le type de maintenance choisi).
J'ai donc expérimenté cette méthode pendant quelques années sur mon bac; cela m'a permis de me faire la main avec des animaux résistants et de pouvoir envisager sereinement et en connaissance de causes la construction de mon bac actuel, dont je savais que la finalité serait d'héberger un grand nombre de coraux durs branchus. En effet ceux-ci me fascinaient déjà, et me fascinent encore: par quel miracle une couche de cellules vivantes aussi fine et fragile, aux couleurs si extraordinaires, est-elle capable de construire sa propre charpente de pierre, toujours plus grande, aux formes sans cesse renouvelées ?

L'équipement
Le bac n'a rien de bien particulier, c'est un classique 190 x 75 x 60 visible sur trois faces, fabriqué sur mesure, avec un compartiment de débordement placé au milieu de la face arrière (ce qui est une bétise que je ne commettrais plus: l'accès n'y est pas vraiment facile). Toute la partie technique se trouve au sous-sol, et se limite en fait à une cuve d'une centaine de litres, à un réacteur à hydroxyde de calcium, un groupe froid réalisé sur mesure par un frigoriste, une pompe de remontée puissante (Iwaki) de débit réel d'environ 2000 l/h pour 2 mètres de dénivellation, et deux écumeurs. Au début, il n'y avait qu'un seul écumeur ATK avec dispergateur de 1,3 m de hauteur, puis j'y ai ajouté un écumeur de fabrication maison équipé d'une pompe à rotor modifié, et actuellement j'ai retiré l' ATK (momentanément, et pour le modifier car je lui ai trouvé certains défauts que je veux essayer de corriger) et lui ai substitué un Deltec AP 850.
Environ 120 kg de roches vivantes ont été introduites en une seule fois à la mise en route en août 1996. j'ai eu la bonne idée de poser celles-ci sur des pilotis en verre collés au fond du bac, ce qui m'a permis de ménager un volume d'eau conséquent avec une très bonne circulation en-dessous du décor. Le volume total d'eau est compris entre 750 et 800 litres.
L'éclairage a évolué, en fonction des adaptations que j'ai cru devoir entreprendre, et se compose aujourd'hui de deux HQI 10000 K marque AB, de deux tubes bleus Osram 67 (un à l'avant et un à l'arrière) et de deux autres tubes plus petits (un à droite et l'autre à gauche). J'ai choisi les ampoules 10000 K après avoir testé des daylight ordinaires. Même si ces ampoules ne sont pas justifiées d'après le modèle berlinois, je trouve le rendu des couleurs bien meilleur ainsi. Les tubes bleus s'allument simultanément à 12 h 00 et s'éteignent à 22 h 45. Les deux HQI s'allument l'une à 13 h 00 et l'autre à 13 h 30, pour s'éteindre dans le même ordre à 21 h 45 puis 22 h 15.
Le brassage est assuré par quatre Tunze 721 OP pulsées de 2000 l/h, lesquelles me donnent entière satisfaction tant au niveau de leur fonc- tionnement silencieux que du brassage aléatoire qu'elle génèrent. Trois petites "mini-jet" sont utilisées pour des brassages locaux.

Les erreurs du début
Pendant trois mois je n'ai rien mis dans le bac, mis à part quelques Zoanthus pour tester. Puis j'ai introduit progressivement les animaux de mon petit bac, et ai acheté quelques autres coraux mous. Mes premiers ennuis sont apparus au bout de 5 à 6 mois, lorsque quelques touffes cotonneuses d'algues rouges sont apparues sur les roches. Et cela a rapidement pris des proportions désastreuses, avec l'envahissement de toutes les parties éclairées par ces algues dont personne n'a jamais pu me donner l'identité, pas même le biologiste du musée de Karlsruhe. Il m'a fallu un certain temps pour identifier l'origine du maI: un réacteur à calcaire, qui fonctionnait pendant la phase lumineuse et enrichissait lentement mais sûrement mon bac avec du dioxyde de carbone et des phosphates. Après retrait de cet appareil en apparence génial, et substitution de celui-ci par un réacteur à hydroxyde de calcium, il a fallu encore 6 à 8 mois avant de voir ces algues disparaître définitivement. Il faut dire que je n'ai jamais usé de méthodes «radicales» pour accélérer leur disparition: je me contentais d'arrachages plus ou moins réguliers, refusant de recourir à un quelconque produit chimique ou à un brossage des roches qu'il aurait fallu sortir de l'aquarium.
Pendant ce laps de temps j'ai quand mêªme introduit quelques autres animaux, et notamment mes premiers coraux durs, lesquels sont toujours en vie aujourd'hui mêªme si je dois bien reconnaître qu'ils n'étaient pas en pleine forme à l'époque. Je les ai introduits parce que je pensais qu'il fallait peupler l'aquarium afin que d'autres formes de vie entrent en concurrence avec ces algues. Mon erreur avait consisté à gaver mon aquarium par le biais d'un réacteur à calcaire alors que cela ne se justifiait pas.
J'avais bien retenu la leçon: désormais il n'était plus question de déroger à la ligne berlinoise pure et dure. Le réacteur à calcaire est depuis ce temps-là dans un coin de mon garage. Même si je sais qu'il me rendrait aujourd'hui certainement de grands services, puisque par- fois je ne peux empècher mon KH de descendre bien bas. Même si je sais que nombreux sont ceux qui l'utilisent et ne peuvent plus concevoir un aquarium sans lui. Je ne peux me résoudre à croire qu'il est anodin de maintenir un pH inférieur à 7 dans une partie du circuit d'eau de l'aquarium. Je ne peux pas croire qu'il suffise de "dégazer" ensuite d'une façon ou d'une autre, dans l'intention d'éliminer le surplus de gaz carbonique qui a été indispensable pour dissoudre le calcaire, et ceci tout en conservant à l'état soluble tout ce qu'il a permis d'obtenir. Sans compter l'obligation de le remplir avec un substrat sans traces de phosphates, sans quoi on accepte l'idée que l'on va injecter minute après minute, jour après jour, mois après mois, des phosphates dans l'eau de son aquarium, et que cela ne finira pas par se payer un jour ou l'autre...
Bien sûr le mariage des deux réacteurs (calcaire + hydroxyde de calcium) semble être une solution idéale, adoptée par beaucoup, l'un permettant de compenser les inconvénients de l'autre. Mais quand peut-on dire que la compensation est réalisée? Et d'ailleurs, en quoi consiste exactement cette compensation? A remonter le pH, c'est-à-dire à transfonner l'association en une usine à sédimentation? Pour ma part je me contente de suivre une voie qui a fait ses preuves sur le long tenne. Et je suis d'autant plus facilement cette voie que, malgré un KH bas, et parfois un taux de Ca bas également, mes animaux me semblent être en bonne santé et croissent bien assez vite pour me poser des soucis de taille. Il faut dire également que je ne cours pas du tout après une forte croissance des animaux: je pense qu'il ne faut pas confondre croissance et santé, et si cette dernière implique la première, il me semble que la réciproque est très discutable. Mais je dois quand même pour être honnète vous dire qu'il m'arrive de temps à autre, lorsque mon KH est vraiment trop bas, de pécher en diffusant un peu de gaz carbonique... Uniquement la nuit ! Si si, c'est très logique, lorsqu'on veut profiter des hydrogénocarbonates et carbonates qui ne manqueront pas de se former grâce à l'hydroxyde injecté la nuit également, sans pour autant alimenter les algues en gaz carbonique. Ma consommation annuelle d'hydroxyde de calcium s'élève à 8 ou 9 kilogrammes, ce qui correspond à la formation d'environ 8 kilogrammes de calcaire par an et par mètre carré pour mon aquarium (1,4 m), valeur proche des valeurs moyennes naturelles relevées.

Les paramètres de l'eau
Puisque j'ai commencé à parler des valeurs des paramètres physico-chimiques de mon eau, je vais détailler un peu. En commençant par remarquer qu'il ne faut pas faire confiance à la valeur donnée par un test du commerce aquariophile. Exemple pendant l'été 1999: j'ai bien des soucis avec le taux de Ca, lequel refuse de dépasser 400-410 mg/l. Je teste presque tous les jours... Je vide ainsi mon flacon de test Salifert.
En septembre, j'en rachète un et ô miracle: un peu plus de 500 mg/l ! Entre temps, un petit dosage colorimétrique réalisé par mes soins au laboratoire de chimie du lycée (je suis enseignant en physique chimie) avait confirmé à peu de choses près les 410 mg/l, et un nouveau dosage me montre que le test qui m'affiche 500 mg/l est à 50-60 mg/l au-dessus de la réalité. Tous ceux qui ont approfondi un peu la question et qui testent régulièrement le savent: tester en eau de mer est une opération délicate et on ne peut pas raisonnablement attendre du commerce aquariophile des tests de précision rapides et faciles à mettre en œuvre.
Mais cela ne veut pas dire que ces tests sont inutiles: pour ma part j'ai remarqué que les tests Salifert Ca, Mg et KH donnent des valeurs reproductibles (pour un flacon donné de test), et donc permettent de suivre à peu près correctement les variations de ces paramètres au fil des jours. Par exemple pour le KR, je sais ainsi que je perds une unité environ entre 12 h 00 et 22 h 00, durée de la phase lumineuse pendant laquelle je n'injecte pas d'hydroxyde. Et quelquefois le soir je mesure 5,5 (et c'est alors là que je diffuse du gaz carbonique la nuit). Quant à la valeur moyenne, elle tourne aux environs de 6,5 d'après le test; et jamais je ne dépasse 7,5.
Je suis allé en novembre 1999 à l'île Maurice, et j'avais emmené ce test avec moi. Je l'ai utilisé pour tester l'eau directement sur le récif, et j'ai trouvé 6,7 en pleine journée, ce qui pour moi constitue un repère précieux. J'aiégalement testé sur place le calcium, et mon test très optimiste m'a donné 490 mg/l.



De retour chez moi, j'ai eu la surprise de voir que ce même test me donnait un petit peu plus que 500 dans mon bac, et donc que le taux de Caétait tout à fait correct dans mon bac. Rien ne remplacera jamais l'expérience et les capacités d'observation de l'aquariophile: quand cela va bien, il faut à mon avis noter les valeurs mesurées par les tests que l'on utilise, puis ensuite doser régulièrement pour suivre l'évolution de l'aquarium. Et si possible racheter un nouveau test avant que l'ancien ne soitépuisé, afin de pouvoir comparer.
Inutile de parler des tests iode ou strontium,éléments en faible quantité: direction poubelle! A moins de disposer de moyens d'analyse sophistiqués, je ne comprends pas ceux qui annoncent des choses comme 0,06 mg/l d'iode ou 8mg/1 de strontium dans leur bac.

Les ajouts
Concernant les ajouts divers, je crois pouvoir dire que j'ai essayé tous leséléments susceptibles d'avoir un rôle utile, du lithium au brome en passant par le rubidium ou le molybdène... Cela m'est facile: ma profession me permet de me procurer aisément tous les composés néces- saires et les rajouter avec précision et en connaissance de cause.

Je n'ai jamais eu recours à la moindre solution proposée dans le commerce aquariophile, pour la bonne et simple raison que les fabricants n'en donnent pas la composition. Comment savoir à partir de là ce qu'on a réellement ajouté et en quelle quantité lorsqu'on suit leur mode d'emploi? Il nous est très difficile, et c'est même impossible pour de nombreux composés, d'effectuer des dosages fiables afin d'avoir une idée de ce qui se trouve effectivement dans nos bacs. A côté de cela le commerce aquariophile mercantile nous incite à pratiquer des ajouts obscurs et incontrôlés! Lorsque vous achetez un engrais pour plantes, vous pouvez lire sur l'emballage la composition exacte et chiffrée de celui-ci: est-ce pour autant que plus personne n'achète ces engrais et que chacun se fait son propre mélange? Alors comment expliquer l'attitude des fabricants aquariophiles?
Pour en revenir à mes ajouts, et bien disons... que j'en suis revenu. Certains résultats d'analyses (publiés sur Internet par exemple, mais aussi obtenus dans mon aquarium ainsi que dans d'autres aquariums de ma région) montrent qu'il y a largement assez, et même beaucoup trop, de certains oligo-éléments dans nos bacs! Et en fait je ne rajoute plus que leséléments qui sont consommés (ou tout au moins qui disparaissent) de façon indiscutable: iode, strontium, fer par exemple. Retour aux sources: que nous disent donc les maîtres de la méthode berlinoise? Ah si, j'oubliais, je rajoute aussi un tout petit peu de nitrates, car malgré le nourrissage très copieux de mes poissons qui affichent fièrement un petit ventre rond bien sympathique, je n'en décèle pas (moins de O,25mg/l avec un spectrophotomètre de laboratoire et un test professionnel Merck).
J. Sprung et J.C. Delbeek ontémis l'idée, dans le livre l'aquarium récifal, que si la maintenance de certaines espèces comme les Goniopora posait tant de difficultés, c'était peut-être à cause d'une carence de quelque chose, se traduisant par un lent mais régulier dépérissement. Personnellement je ne crois guère qu'il puisse s'agir d'un oligo-élément, car avec tous lesélixirs commerciaux et les aquariophiles qui les utilisent, il y aurait certainement des cas de réussite plus fréquents. Il peut s'agir d'une carence en nourriture, pourquoi pas... Mais aussi peut-être le fait d'un empoisonnement progressif, par accumulation d'éléments indésirables (tels certains métaux présents en quantité bien trop grande dans nos bacs) dans les tissus d'un organisme plus sensible que les autres?
Je rajoute l'iode sous forme d'iodure (les recettes sont classiques et disponibles dans de nombreux articles et livres) et sous forme de lugol, et comme je l'avaisécrit début 1999 sur le forumélectronique de discussion «aquamer», j'ai rajouté à un moment donné beaucoup plus de lugol que certains articles ne le préconisaient, car quelques petits calculs m'avaient alors montré que les doses conseilléesétaient insignifiantes. Suivant ces articles, il est en effet conseillé de rajouter pour 100 litres d'eau de une à dix gouttes de lugol à 0,5 % tous les quinze jours. Pendant un mois environ, j'ai ajouté 9 gouttes de lugol à 0,5% par jour dans mes 800 litres d'eau. Suite à ceci, et bien que je ne puisseévidemment rien affirmer, j'ai constaté une amélioration dans mon aquarium, avec notamment une intensification de la coloration des coraux. Depuis, je rajoute tous les jours du lugol dans mon aquarium, à des doses plus faibles car, dans la mesure où actuellement mon bac se porte bien, avec des coraux dont la coloration est dans l'ensemble persistante, je ne vois plus l'intérêt de doses plusélevées. Selon les jours et mon humeur, c'est une, deux ou trois gouttes de lugol.
Cela fait plus d'un an que je procède ainsi, et que je ne constate pas d'effets indésirables (je n'ai pas dit qu'il n'y en avait pas, mais simplement que je ne les voyais pas...). Par ailleurs d'autres que moi se sontégalement exprimés dans le même sens et utilisent même davantage de lugol que moi. Il n'y a qu'une précaution à prendre: procéder de façon progressive et enétant attentif, afin de pouvoir stopper à temps si jamais un problème survenait.
Pour le strontium, j'utilise 20 ml d'une solution à 10% (50 grammes de chlorure de strontium hexahydraté par litre d'eau) par semaine. Ceci me permet de maintenir 7 à 8 mg/l de strontium (analyse effectuée par un professionnel avec du matériel adéquat: spectrophotomètre à plasma).
Pour le fer, j'utilise une solution de citrate de fer monohydraté à 9,5 grammes par litre. Avec un millilitre de la solution, on obtient une concentration en fer de 0,01 mg/l dans 200 litres d'eau. Je rajoute de façon hebdomadaire une ou deux fois cette dose, selon mon humeur et l'apparence de mon bac.

La maintenance
Pour l'instant, j'ai stoppé tout changement d'eau: avant je changeais les 5% préconisés chaque mois, mais depuis que je ne change plus rien mon bac ne s'en porte pas plus mal. Pendant un an environ j'ai utilisé du charbon en permanence: un petit sachet d'environ 300 ml de charbon Duplaétait placé dans ma cuve de reprise d'eau, et je le changeais chaque semai- ne. Maintenant, je n'en utilise plus. De même pour la filtration mécanique sur ouate de per- Ion, que je n'utilise plus. Deux fois par semaine, je dois nettoyer les vitres du bac, qui se recouvrent d'une petite couche de diatomées.
En fait depuis le début je suis partisan d'une méthode qui se résume en quelques mots: une technique de base efficace qui a fait ses preuves, à savoir le quinté gagnant berlinois {lumière +écumeur + brassage + roches vivantes + hydroxyde}, et des interventions minimales, même lorsqu'un problème ponctuel survient. Plus on laisse la nature tranquille, et plus elle finit par trouver ses marques: intervenir sans arrêt pour changer ceci ou rajouter cela, c'est perturber unéquilibre si fragile et si long à s'installer. Je ne suis pas sensible aux modes du marché aquariophile.
Mon aquarium fonctionne depuis le début en dents de scie, avec des hauts et des bas, les basétant de moins en moins bas au fur et à mesure que le temps passe. Aucun appareil, aucune technique, ne se substituera jamais au temps; et seul le temps et la régularité permettent d'obtenir un aquarium récifal satisfaisant. Tout le contraire du «tout tout de suite» de notre société de consommation... Après trois années d'existence, je commence seulement à percevoir dans mon bac les signes précurseurs d'une stabilisation qui, je l'espère, sera durable.

La population
Côté poissons, rien que des classiques: un Paracanthus hepatus et un Zebrasoma flavescens tous deux de taille respectable (la quinzaine de cm), 7 Chromis viridis, un Synchiropus, un Pseudocheilinus hexataeniata, un Centropyge bispinosus, un Gramma loreto, 2 Pseudochromis fridmani et un Salarias fasciatus, dit " Eliott ", mon poisson favori, qui est dans le bac depuis le début et qui s'est fait une raison en voyant qu'il ne trouverait jamais assez d'algues pour se nourrir: il vient désormais chercher les granulés en surface! Je nourris les poissons 7 à 8 fois par jour, avec des granulés Dupla. Environ une fois par semaine, ils ont droit à des artémias congelées. C'est tout, et même si ce n'est pas très varié, je peux vous assurer que cela leur convient manifestement très bien. Au moment où j'écris ces lignes, je suis en train de chercher à capturer le Zebrasoma. Il s'est mis en effet, du jour au lendemain, à grignoter avec acharnement 3 des bénitiers que je possède, alors que ces bénitiers faisaient partie de son environnement depuis plus d'un an et demi et qu'il n'y avait jamais prété la moindre attention. C'est comme s'il y avait goûté par hasard, confondant distraitement un morceau de manteau verdâtre avec une algue (?), puis avait alors découvert que cela n'était pas si mauvais!
Côté coraux, une grande majorité de durs à petits polypes: une trentaine de variétés d'Acroporas, 6 ou 7 variétés de Montiporas, des Pocillopora, des Stylophora, des Sériatopora, des Porites, des Trachyphyllia, Euphyllia, Favia, Alvéopora, Millepora, Turbinaria, Caulastrea, Catalaphyllia, 6 bénitiers et quand même quelques mous: Zoanthus, Discosoma et Xenia umbellata. La liste n'étant pas exhaustive.
Pour plus de la moitié, ces animaux ontété obtenus sous fonne de boutures. Certains ont déjàété bouturés de nombreuses fois, voir même presque entièrement retiré tels ces 3 Acropora, quiétaient devenus trop volumineux (l'un deux aété retiré sous la fonne d'un massif qui atteignait 40 à 50 cm d'envergure) et me causaient des problèmes d'ombre ou de brûlures réciproques. Ce qui me permet de vous dire que je rajoute quotidiennement entre une cuillère et demie et deux cuillères à soupe d'hydroxyde, et que je n' observe aucune précipitation intempestive dans mon aquarium. Ce qui laisse logiquement supposer que tout est consommé, par les coraux, les bénitiers dont un derasa qui croît rapidement, les algues roses, et certainement de nombreux autres organismes encore, parmi lesquels les centaines de petits escargots qui sont apparus spontanément.
Certains pourront regretter le manque de diversité «relative» dans ce peuplement, où de nombreux coraux mous sont exclus. Les raisons en sont diverses: d'une part il s'agit d'un choix délibéré de ma part que de vouloir un aquarium peuplé essentiellement de «durs branchus», et d'autre part il s'agit aussi d'uneévidence qui est que la cohabitation de ces deux types d'animaux posent des problèmes. il y a des incompatibilités entre les durs et les mous, et d'ailleurs des incompatibilités entre durs et durs aussi. Incompatibilités de contact bienévidemment, mais aussi incompatibilités de cohabitation en espace limité, même sans contact. C'est dans cette optique que j'ai installé un autre aquarium de 450 litres dédié aux coraux mous, avec un circuit d'eau distinct. Je peux citer en exemple ces grosses Zoanthus au cÅ“ur vert fluo, qui jamais ne s'ouvraient dans mon bac de durs, et qui s'épanouissent magnifiquement depuis qu'elles sont dans le bac de mous (technique similaire à celle du bac de durs)" ainsi que ces Discosoma rouges qui n'étaient que peau de chagrin et qui sont devenues splendides. Mais aussi des reproductions d' Alvéopora dans mon bac de durs, dont je compte une bonne trentaine de souches: elles s'y développent infiniment lentement, alors qu'une de ces souches de quelques millimètres carrés transportée dans le bac de mous a en quelques mois atteint la taille d'un pouce. Et ce n'est pas qu'une question de nitrate ou d'éclairage, ces facteursétant les mêmes dans les deux bacs. Il suffit de sortir par exemple un Acropora de l'eau, et de voir tout le mucus qu'il est capable de sécréter, pour comprendre que même la meilleure desépurations de l'eau aura de la peine à retirer tout cela. Nous autres aquariophiles cherchons à placer sur un mètre carré et dans un mètre cube ce qui existe sur des surfaces dix fois plus grandes et avec des volumes infiniment supérieurs dans la nature. Le peuplement réussi et harmonieux d'un aquarium est, à défauts de règles bienétablies, une affaire de tâtonnements, afin de repérer quels animaux se plaisent, et en plus à quels endroits ils se plaisent. Et encore faut-il ensuite lorsque cela est à peu près réussi résister à la tentation bien légitime d'introduire de nouvelles variété!
J'ai de nombreuses espèces qui sont bien colorées: les classiques Sériatopora roses-rouges, mais aussi un Stylophora orange à bouts roses fluos, que j'avais acheté brun et en mauvaisétat, un autre bébé Stylophora rose bonbon, un Acropora tabulaire rose et divers Pocillopora rose-rouge vif. Parfois la couleur est longue à se manifester, et une espèce initialement ordinaire se révèle en fait être très intéressante: si en se procurant une espèce colorée on est sûr qu'elle porte en elle, génétiquement, une couleur remarquable, la réciproque n'est pas vraie et des espèces brunes et ordinaires dans le bac d'un commerçant mériteégalement de l'attention.
La couleur rose domine dans mon aquarium, bien qu'il y aitégalement des oranges, des verts bien entendu et aussi des bleus et des violets. C'est la couleur bleue qui me pose le plus de problemes: mes Acropora bleus ne conservent pas une couleur régulière dans le temps, et cela oscille entre le bleu pâle et le bleu prononcé, Je n'ai encore pas réussi à faire un lien quelconque entre ces variations et d'autresévénements se produisant dans mon aquarium. Et mes Porites bleues ne sont plus bleues depuis bien longtemps. Certaines espèces sont colorées et ne reçoivent pas pour autant un maximum de lumière, par contre d'autres perdent immédiatement leurs couleurs vives dès que la lumière vient à manquer un peu, suite à l'ombrage d'une autre espèce par exemple, ou plus simplement au manque de place dont je dispose lorsque je bouture un morceau... Pendant longtemps les polypes de mes durs à petits polypesétaient peu déployés dans la journée, ce qui m'agaçait fortement car j'avais remarqué lors de différents séjours sur les récifs qu'ilsétaient magnifiquement déployés dans la nature. Actuellement, ils sont déployés de façon tout à fait correcte; cela s'est fait très progressivement, sans que je ne change rien à la ligne de conduite que je me suis fixée. Je suis toujours trèsétonné de constater combien cetépanouissement peut varier d'un aquarium à un autre pour un même animal issu de boutures. De même que la coloration d'ailleurs, qui peut changer radicalement alors que les conditions de maintenance paraissent identiques. N'est-ce pas la meilleure preuve que nous ne maîtrisons rien ou presque?

Perspectives
L'avenir nous réserve des surprises, et personnellement je pense que nous progresserons vraiment lorsque nous aurons accès à des analyses fines, chimiques d'abord puis biochimiques ensuite. On ne peut pas se contenter d'ajouter de façon qualitative et non rationnelle de l'iode, du strontium ou autre! On ne peut pas se contenter d'une eau dans laquelle de nombreuxéléments sont en quantité bien plus importante que dans le milieu naturel! Ceci n'est que le prolongement logique de l'évolution qui s'est faite ces dernières décennies, lorsque les aquariophiles ont pris conscience des problèmes liés au cuivre, aux phosphates... et aux terpènes. Car l'eau de mer en général, et celle de nos milieux confinés et surpeuplés en particulier, est une véritable soupe où baignent autant de composés indésirables que de composés indispensables pour que les miracles de la nature s'accomplissent. Miracles auxquels j'espère pouvoir donner l'occasion un jour de s'accomplir dans un véritable mini-récif de cinq ou six milles litres, car à mes yeux rien n'est plus beau qu'un Acropora qui a pris sa forme et sa taille naturelles parce qu'on lui en a donné le temps et l'espace.

Régis DOUTRES
un des membres de l'antenne «Récif France»