Écumer, un peu, beaucoup, beaucoup trop ?


Fabrice POIRAUD-LAMBERT
Extrait des "Lettres récifales" nr 9 - mai 1998

La m?thode Berlinoise et certains auteurs comp?tents disposant d'une grande audience, ont fini par imposer la n?cessit? d'utiliser un ?cumeur pour sortir de l'eau de nos aquariums toute la pollution que les bact?ries ne peuvent pas traiter (acides amin?s, prot?ines, graisses, acides gras, ph?nols, iode, m?taux, hydrates de carbone, alcalo?des, phosphates, urine et mati?res f?cales,...). Les amateurs d?butants ou mal inform?s ont encore tendance ? utiliser des appareils sous dimensionn?s, probablement autant par manque de moyens qu'en raison d'informations constructeurs souvent quatre fois au-dessus des capacit?s r?elles des appareils, informations reprises par les d?taillants qui ne ma?trisent pas toujours leur utilisation. A l'inverse, les aquariophiles qui utilisent des ?cumeurs depuis longtemps essayent sans cesse d'am?liorer leur ?cumage. C'est cette notion d'am?lioration qui est au centre de cet article. Am?liorer, est-ce ?cumer plus (ie sortir plus d'?cume), ou oxyg?ner plus, ou encore enlever certains compos?s qui ne l'?taient pas ou peu, c'est-?-dire ?cumer diff?remment ?
Il est ?tonnant de constater qu'assez peu d'information d?taill?e n'est disponible ? ce sujet. Par exemple, dans le livre r?cent de Nilsen et Fossa ('The modern Coral Reef Aquarium'), on peut lire : 'il y a une grande probabilit? qu'en plus des prot?ines, d'autres substances soit ?cum?es en m?me temps. Parmi celles-ci se trouvent aussi des substances qui sont essentielles ? l'?quilibre chimique de l'aquarium r?cifal'. Si les auteurs ajoutent que cela ne pose pas un probl?me puisque qu'aucun incident n'a ?t? imputable ? l'?cumage, au contraire, cela souligne le fait que nous ne ma?trisons gu?re ce qui se passe r?ellement, et que nous sommes encore dans une phase empirique, m?me si nous comprenons le principe de fonctionnement. L'article le plus d?taill? que j'ai pu lire sur le sujet, et qui explique les principes chimiques du fonctionnement de l'?cumage, et ce qui l'influence, a ?t? ?crit par Randy Holmes-Farley, et est publi? dans la Biblioth?que de Compuserve (FishNet). Dans 'The Reef Aquarium' Vol. 1 de Delbeek et Sprung, la description du fonctionnement et des processus interne des ?cumeurs est beaucoup plus d?taill?e, mais nous ne sommes gu?re ?clair?s sur le dimensionnement ou la puissance des ?cumeurs ? utiliser sur chacun de nos bacs.

Si l'utilisation d'un ?cumeur est visiblement bienfaisante, et il suffit pour s'en convaincre de regarder (et de sentir !) ce qui en sort, son utilisation apporte d'autres bienfaits moins visibles mais bien r?els. Par exemple, la colonne de bulles qu'il cr?e permet l'oxyg?nation de l'eau et l'?quilibrage des pressions partielles de gaz (CO2 par exemple : Les utilisateurs de r?acteurs ? calcaire noteront ainsi une augmentation de leur pH), ce qui peut permettre d'optimiser l'efficacit? d'injections ma?tris?es d'eau de chaux tout en assurant la respiration des animaux et des bact?ries. Un autre effet, soulign? par Sam GAMBLE dans son article 'Light Energy' (www.aquarium.net) est de sortir de l'eau certains compos?s organiques carbon?s (DOC en anglais), qui freinent la p?n?tration de la lumi?re dans l'eau, et qui emp?che donc nos h?tes hermatypiques de profiter de toute l'?nergie radiante possible.

On l'aura compris, et il semble utile d'insister sur ce point, je suis personnellement un fervent adepte de l'?cumage, et il n'est nullement question ici de remettre en cause l'utilisation de cette technique de maintenance.
En dehors de ces bienfaits, qui sont d'autant plus visibles qu'aucune masse filtrante ne vient perturber le fonctionnement de l'appareil, divers auteurs remettent en cause son utilisation forcen?e, et certaines constatations personnelles me font m'interroger.

Le r?cif corallien naturel ne cro?t que de 2,5 cm par an, et en fonction des esp?ces, les coraux pris individuellement ne poussent qu'entre 1 et 1,5 cm par an selon certaines sources, ? part certaines exceptions, comme par exemple certains Acropora, qui pourraient pousser de 10 ? 25 cm par an dans la nature (Veron, 1993). Cette constatation scientifique m'a abasourdie, mais semble parfaitement r?aliste : si le r?cif poussait de 15 cm par an, il ne faudrait pas longtemps pour qu'il touche la surface, envahisse les c?tes et comble les ravages des hommes. Qu'est-ce qui explique donc que nous arrivions ? faire pousser les coraux durs ? petits polypes (SPS) et les autres ? des vitesses 5 ? 10 fois sup?rieures en captivit? ? D'aucuns me r?pondront : ? cause de la pr?dation, ? cause des ph?nom?nes naturels (temp?tes, courants,...). Un amateur me fait remarquer que les petits coraux de nos aquariums poussent plus vite car conditionn?s par l'instinct de survie qui fait qu'un gros corail est moins fragile qu'un petit, et que sa masse augmente d'autant plus vite en proportion qu'il est petit. Cette opinion est confirm?e par Delbeek et Sprung (The Reef Aquarium, Vol 2, p. 56), lorsqu'ils citent les travaux de Fabricius (1995) qui rel?ve que dans la nature, les jeunes Sarcophytons augmentent leur taille de 28% par an alors que les colonies m?tures ne grandissent que de 6%. Pourtant, les SPS g?ants sont relativement rares en mer, et l'on a g?n?ralement sous les yeux des colonies de quelques dizaines de centim?tres qui ne p?sent pas tr?s lourd. De plus, ? part en certains endroits comme aux Philippines, je n'ai pas toujours vu dans la nature les extr?mit?s des coraux pr?senter les m?mes pointes blanches et plates (qui indiquent des croissances rapides) que celles que l'on peut voir parfois en permanence dans nos bacs.

Alors ? Qu'est ce qui les emp?che de pousser plus vite ?
Il est g?n?ralement accept? que les coraux durs ? petits polypes vivent et dominent dans des eaux tr?s pauvres en nutriments (encore faut-il relativiser : nous ne parlons ici de de pauvret? relative en compos?s organiques dissouts. Des calculs d?montrent par ailleurs que la masse de nourriture potentielle disponible dans l'eau entourant les r?cifs est de loin sup?rieure ? ce que nous aurions dans nos bacs : en rapportant les proportions ? un bac de 400 litres, cela nous donnerait 280 g par 24 H !... Source : Hamner & Al, 1988, bulletin of Marine Science. 42:459-478). Etant donn? les besoins des autres esp?ces de coraux, il semble que cela soit surtout d? au fait que si l'eau ?tait plus riche en nutriments (dissouts), les esp?ces SPS seraient rapidement vaincues par les coraux durs ? longs polypes (LPS - urticants ? long rayon d'action), par les coraux mous (urticants, d?gageant des toxines, et ayant une vitesse de croissance beaucoup plus ?lev?e que les SPS du fait de l'absence de squelette calcaire ? construire), ou tout simplement par les algues !

Il est accept? par un certain nombre de sp?cialistes que m?me les coraux SPS ont des besoins nutritionnels qui d?passent la simple photosynth?se, qui ne permet que d'assurer 70% de leurs besoins. Par exemple, une ?tude r?alis?e par Sorokin montre que la consommation de bact?rioplancton fournit aux coraux entre 8 et 25% des besoins respiratoires, soit entre 1 et 10% de la biomasse totale de l'animal par jour. Des donn?es indiquent que 40% des produits fournis chaque jour au corail par ses Zooxanthelles sont transform?s en mucus. Ce mode d'alimentation est comparable, nutritionnellement parlant, au r?sultat de la capture de petits crustac?s (zooplancton), en dehors du fait que la chasse consomme infiniment plus d'?nergie (ne serait-ce qu'? cause de l'?nergie d?pens?e pour maintenir op?rationnels jusqu'? 10 000 n?matocystes par cm carr? !). Si la majorit? des coraux se nourrit de bact?ries, il semble que ceux qui d?pendent le plus de cette source d'?nergie sont : Acroporta, Pavona, Goniopora, Favites, Symphyllia, Leptastrea, Tubastrea, Seriatopora, Pocillopora, Montipora, Porites, Hydnophora, Turbinaria et Zoanthides. D'une mani?re g?n?rale, plus le corail est producteur de mucus, et plus il d?pend ?nerg?tiquement des bact?ries qui viennent consommer cette manne alimentaire.
Dans leur ferme d'?levage de coraux, Dana Riddle et John Walsh (voir la traduction de l'article d'Albert THIEL, sur ce site) insistent souvent sur le b?n?fice apport? aux invert?br?s par la distribution r?guli?re de plancton (voir ? ce sujet l'article sur les Refuges).
J'ai pu constater chez moi des croissances ultra-rapides de certains SPS dans des conditions nutritionnelles pourtant ?loign?es de l'optimal. M?me dans des conditions d'hygi?ne ?lev?e, mais avec une quinzaine de poissons g?n?reusement nourrit chaque soir de quatres cubes d'aliments congel?s, mes coraux poussent ? une vitesse, certes irr?guli?re dans le temps, qui me laisse parfois pantois (jusqu'? plusieurs mm par jour). Et pourtant, avec une croissance moyenne minimum d'au moins 1 cm par mois (jusqu'? 2 cm par mois), nous d?passons de loin la croissance naturelle.
Si l'on se r?f?re ? la description que fait Albert THIEL (www.athiel.com) de l'entreprise de bouturage de coraux Aquatic Wildlife Company (Cleveland - USA), on peut noter que les bacs de boutures sont ?quip?s de 'petits' ?cumeurs (en proportion), l'objectif ?tant de ne pas cr?er d'environnements nutritionnels pauvres, et d'enlever les polluants sans pour autant supprimer totalement toute nourriture.
L'id?al semble donc d'arriver ? cr?er un ?quilibre qui permette une croissance rapide des coraux, tout en maintenant les nitrates ? 0 et en faisant en sorte que les algues restent invisibles, gr?ce aux pr?dateurs herbivores. Bien entendu, ce niveau nutritionnel d'?quilibre n'est pas quantifiable pour les pauvres amateurs que nous sommes, et il ne suffit pas en soit ? faire cro?tre les coraux : l'?clairage est aussi un facteur fondamental, puisqu'il participe ? l'alimentation des coraux hermatypiques. Cependant, il semble que le carbone et l'azote soient dans la nature dans un ration de 7:1 (C:N), et que l'?quilibre du milieu d?pende en partie de ce ratio. Modifier l'un des param?tres d?s?quilibre donc l'ensemble, et certaines populations bact?riennes peuvent en arriver ? mourir de faim, le carbone manquant (Sam GAMBLE, Per. Comm.)

La cl? de cette r?flexion vient de m'?tre donn?e par le dernier article d'Eric Borneman ('A death In The Family ? The Mystery of Goniopora', Aquarium.net) : La cl? de la r?ussite dans la maintenance de certains coraux (Catalaphyllia, Goniopora, Xenia...), et de l'acc?l?ration de la croissance des autres (SPS,...), semble d?pendre du taux de nutriments disponible dans l'eau. Pour r?pondre ? ce besoin alimentaire, il existe deux m?thodes : soit disposer d'un bac mod?r?ment ?cum? (toute proportion gard?e) et mod?r?ment nourri, soit utiliser un ?cumeur sur-puissant, qui garantira une eau de qualit? irr?prochable en toutes circonstances, et m?me pour les animaux les plus exigeants, et nourrir avec g?n?rosit? (mais quand m?me pas jusqu'? 280 g par jour par 400 litres !! ;-) . Dans le premier cas, la nourriture est disponible en permanence mais le danger existe de d?clencher un probl?me (nitrates, phosphates, algues filamenteuses,...), alors que le deuxi?me cas est plus s?curisant. Cette conclusion semble enti?rement partag?e par Terry Siegel et Randy Holmes-Farley, si l'on en croit un article publi? r?cemment dans www.aquariumfrontiers.com : To Skim or not to Skim. Encore plus r?cemment, le Dr. Craig Bingman a ?crit quelque chose sur le sujet qui allait aussi fortement dans ce sens, tout en insistant sur la n?cessit? d'alimenter l'aquarium en planction (merci ? l'amateur qui m'a transmis l'info !). Extrait :
"This is how I see the ultimate home reef system working :
One or several tanks. Sump (large) in the basement. The skimmer runs in that basin. It is set up to draw from the inlet side of the sump, and it dumps outlet water near the pumps that drive the system. There are separate pumps driving the skimmer and tank circulation. Once during the day and at least once at night, the circulation pumps shut down, and a plankton surrogate is injected into the tank(s.) That might take the form of filtered greenwater, microalgae slurry, or rotifers. This is either shot directly into the tanks, or into the circulation pumps driving the tanks, and they are shut down shortly after that. The aquarium is left on internal circulation for a while, an hour, maybe two. Then the circulation pump kicks on again, and starts to clean up the mess."

Le seul probl?me est que les ?cumeur surpuissants ne sont quasiment pas distribu?s sur le march? Fran?ais (ETS, certaines marques allemandes,...), ? part peut-?tre les gros mod?les Deltec ou ATK. Un d?taillant ou un importateur fran?ais aurait-il la bonne id?e de nous procurer des ?cumeurs ETS (ou autre de puissance ?quivalente), que l'on puisse gaver nos animaux tout en gardant une qualit? d'eau irr?prochable ??

HA ! Rappel d'un petit d?tail qui a son importance : en tant qu'amateur, ne tenez AUCUN COMPTE des indications de puissance des ?cumeurs fournies par les fabricants : si un ?cumeur vous est vendu pour 1200 litres de capacit? de traitement, divisez ce chiffre par 4 pour avoir quelque chose de raisonnable sur un bac r?cifal plein.

Texte extrait des "Lettres Récifales", bulletin de liaison trimestriel des membres de Récif France.