La salinité

par Bernard CAPEL

Ce papier sur la salinité et ses méandres m'est venu indirectement en essayant de résoudre un problème qui devrait être simple: Fabriquer une eau de mer de salinité connue afin de calibrer des tests d'éléments chimiques. En effet en connaissant la salinité et la composition du sel, on en déduit aisément la concentration des éléments.

  • Qu'est-ce que la salinité ?

Une première question se pose qui n'est pas si anodine que cela si l'on se réfère à certaines publications:

La salinité en ppt (part per thousand) est la quantité en grammes de sels secs dissous dans un kg d'eau de mer. La salinité naturelle varie de 10 ppt dans la Baltique à 40 ppt dans la Mer Rouge. Elle est de 20 à 34 ppt dans la mer du Nord, et de 30 à 35 ppt dans les mers tropicales. Nilsen et Fossa recommendent dans nos aquariums, une salinité comprise entre 33 et 36 ppt.

  • Fabriquer une eau de mer de salinité connue.

A priori une simple balance électronique de cuisine précise au gramme, comme c'est devenu courant aujourd'hui suffit pour une quantité de sel de l'ordre du kilo. Pour fabriquer seulement un litre d'eau de mer une précision supérieure sera nécessaire et votre pharmacien se fera un plaisir de vous peser une quarantaine de grammes de sels à 0,1 g près.

ATTENTION, il ne s'agit pas comme on a pu le lire parfois de faire l'opération suivante: Je veux obtenir une eau à 35 ppt, donc je mets 35g de sels dans un récipient et je complète à un litre. Ceci est erroné pour 2 raisons:

* Premièrement, les sels vendus dans le commerce aquariophile contiennent environ 15% d'eau et il faut en tenir compte.

* Deuxièmement, la salinité en ppt obtenue est fonction de la température de l'eau, car un litre d'eau ne présente pas la même masse quand la température varie.

Une bonne solution sera de travailler avec des masses:

Dissoudre les sels dans 1000 g d'eau ( bien entendu aux températures ambiantes, cela correspond environ à un litre, mais cet « environ » dépend de la température).

La salinité S en ppt est donnée par la formule suivante, ou M est la masse de sels à dissoudre en g et E le taux d'eau dans le sel en %.

S ppt = (1000 - 10xE) M / (1000 + M) soit

M g = 1000S / (1000 -10xE - S)

Ce qui donne : 42,9 g de sels a dissoudre dans 1000 g d'eau douce pour obtenir 1042,9 g d'eau de mer à 35 ppt (Pour E = 15%).

Salinité ppt
g/kg de sels
35

36

37

38

39

40

42,9

44,2

45,5

46,8

48,0

49,4

  • Qu'est-ce que la masse volumique ?

C'est assez évident d'après la dénomination, il s'agit de la masse de l'eau par unité de volume exprimée en kg/m3 ou en g/cm3. La masse volumique est une fonction décroissante de la température.

Ci-dessous la courbe Salinité/Masse volumique à 20°C calculée à l'aide de l'équation d'état internationale de l'eau de mer 1980 (EOS-80).

 

  • Qu'est-ce que la densité ?

La densité théorique est le rapport de la masse volumique (kg/m3) de l'eau de mer considérée, à celle de l'eau distillée à 4°C à la pression atmosphérique normale. La densité est un nombre sans dimension, fonction inverse de la température : plus une eau est chaude, moins elle est dense.

Ceci peut paraître anodin, mais en fait explique l'existence des grands courants sous-marins tels le Gulf Stream qui en retour régulent l'équilibre climatique sur toute la terre, en favorisant les échanges thermiques entre les pôles et l'équateur. En effet les eaux de surface refroidies au contact des glaciers polaires, voient leur densité augmenter, elles s'enfoncent ainsi profondément et génèrent des courants qui s'étendent sur des milliers de kilomètres.

La densité est qualifiée de théorique, elle n'est pas mesurée directement et surtout pas avec les appareils dénommés densimètres comme on le verra par la suite. En fait cette grandeur n'est plus utilisée par les océanographes.

ATTENTION aux faux amis et aux mauvaises traduction, dans la langue de Skakespeare, densité se dit « specific gravity » et masse volumique « density ».

  • Les appareils de mesure de la salinité

La salinité est la seule grandeur qui intéresse l'aquariophile, les autres mesures ne sont que des moyens détournés pour la connaître. En fait la salinité n'est pas mesurable directement, si l'on tente d'évaporer l'eau de mer pour en extraire des sels secs et les peser, des gaz sont produits qui faussent le résultat.

Les aréomètres:

Encore appelés densimètres ou « hydrometer » en anglais, contrairement à la dénomination, ils ne mesurent pas la densité théorique, mais « une » densité qui est le rapport des masses volumiques, de l'eau testée à celle de l'eau distillée à une température d'étalonnage donnée. Les densimètres sont en général étalonnés à 60°F (15,56°C) chez les anglo-saxons, 20°C ou 25°C chez nous. A la température d'étalonnage, les densimètres mesurent 1,000 dans l'eau distillée.

Ceci a trois conséquences :

1. Une mesure n'est valide qu'à la température étalon,

2. Deux appareils étalonnés à des températures différentes ne donnent pas la même mesure,

3. Pour réellement utiliser la mesure faite, il faut des abaques de conversion , valeurs lues versus salinité pour chaque type de densimètre.

Les courbes ci-dessous sont calculées à l'aide de l'équation d'état internationale de l'eau de mer 1980 (EOS-80). Chaque courbe correspond à un densimètre étalonné à une température différente, la lecture étant faite à cette même température. Ne pas confondre l'ordonnée ici sans dimension, il s'agit d'une valeur lue au densimètre avec la masse volumique vue plus haut en g/cm3 même si les valeurs sont proches.

Que se passe-t'il si l'on ne connaît pas la température d'étalonnage de son densimètre ?

On constate sur les courbes qu'une erreur un peu inférieure à 0,001 est possible entre un densimètre 60°F (15,56°C) et un densimètre 25°C.

Que se passe-t'il si l'on ne mesure pas à la température d'étalonnage ?

Un correction de la valeur lue s'impose, compter :

+ 0,001 par 5°C au dessus de la température d'étalonnage

- 0,001 par 5°C au dessous de la température d'étalonnage

NOTA : Certains densimètres à aiguille sont automatiquement compensés en température, mais leur sensibilité aux bulles d'air les rend très difficiles à utiliser par ailleurs.

Conclusion ?

En cumulant les deux effets précédents : méconnaissance de la température d'étalonnage et absence de correction en fonction de la température de mesure, il est possible de se tromper de 0,003 soit environ 4 ppt ce qui est loin d'être négligeable.

Dire « je mesure une densité de X » en soi ne représente rien : Premièrement on ne mesure pas la strictement la densité comme on l'a vu plus haut mais une valeur propre au densimètre, ensuite , il faut accompagner la valeur lue, de l'indication de la température d'étalonnage du densimètre, et de la température de mesure si elle est différente.

En fait les aquariophiles devraient abandonner cette notion trop imprécise de densité pour ne plus parler que de la salinité.

Les conductimètres :

Les conductimètres calculent indirectement la salinité en mesurant la capacité de l'eau à conduire le courant entre deux électrodes. Plus une eau est salée, mieux elle conduit le courant, comme chacun a pu le constater en prenant ça et là une « châtaigne » occasionnée par les diverses fuites électriques qui ne manquent pas de se produire entre l'appareillage et l'aquarium. La conductivité se mesure dans une unité « barbare » qui est le milliSiemens par cm : mS/cm ou mS.cm-1.

La courbe ci-dessous montre la correspondance conductivité/salinité à 25°C. On y voit que dans la gamme qui nous intéresse, la conductivité est grossièrement proportionnelle à la salinité.

La conductivité est en outre dépendante de la température, elle croit avec celle-ci. Dans les conductimètres cette variation est compensée soit automatiquement, soit en fixant une pente de correction en pourcent par °C. Une pente aux environs de 2%/°C semble une valeur correcte. Ainsi on se reporte toujours à une mesure à 25°C.

Conductivité (mS/cm) à 25°C

40

41

42

43

44

45

46

47

48

49

50

51

52

53

54

55

Salinité (ppt)

25,5

26,2

26,9

27,7

28,4

29,1

29,8

30,5

31,3

32

32,7

33,5

34,2

34,9

35,5

36,1